#6
Vitraux colorés, cœur noir
#6 - Vitraux colorés, cœur noir
La couleur du non
Imagine une église vide, glaciale. Pas de chants. Pas de lumière. Seulement toi. Et un enfant qui ne demande rien, sinon le droit d’exister.
Ni voulu, ni renié.
Sibylle n’a rien choisi.
Ni ce lieu.
Ni ce moment.
Ni même l’enfant qu’elle serre contre elle, qu’elle n’a ni voulu, ni renié.
Le seul choix qu’il lui reste : tenir bon, ou s’écrouler.
Dans la masure, le toit fuit. Le froid s’infiltre par les interstices.
Même le feu, recroquevillé dans l’âtre, souffle une flamme pauvre.
Et l’enfant ? Il n’a toujours pas de nom.
Mais sans nom, pas de baptême.
Et sans baptême, pas le droit d’exister.
Alors, est-ce vraiment un oubli ?
Ou un refus ?
Sibylle le sait : s’il arrivait malheur à un enfant sans nom…
Mieux vaut ne pas y penser.
Elle serre son fils plus fort contre elle et prend sa décision. Elle ira à l’église.

Le pardon est-il de Dieu ou des hommes ?
La nef est glaciale.
Autant que le regard du prêtre qui ne tend pas la main.
Il juge.
Il soupire.
Il pose les questions dérangeantes.
La pécheresse doit comprendre pourquoi son enfant ne peut être baptisé.
Sibylle ne répond rien.
À quoi bon ?
À quoi servent les mots, quand la faute est écrite sur votre front ?
Le prêtre connaît déjà toutes les réponses.
Il détourne les yeux, soupire. Cette visite l’ennuie.
Il parle de foi. De règles. De communauté.
D’un monde dans lequel elle ne peut entrer.
Pas avec cet enfant-là.
Pas avec cette histoire-là.

Tu auras un Père, mon fils
Sibylle sent ses jambes se dérober.
Elle doute, à présent, d’avoir eu raison de venir.
Mais elle est là pour son fils.
Et pour Côme aussi. Il n’aurait pas compris qu’elle renonce.
Elle n’est pas venue pour être absoute.
Pourquoi le devrait-elle ? Quelle faute a-t-elle commise ?
Elle est venue pour que son fils existe, pour qu’un jour peut-être, il ait sa place parmi les hommes.
Mais même ici, dans la maison de Dieu, il n’est pas le bienvenu.
Alors le prêtre pose la dernière question.
La seule qu’elle redoutait vraiment.
— Qui est le père ?
Et alors tout revient.
Pas un visage, pas même les pleurs ou les cris.
Juste la sensation.
La terre froide. Le corps broyé. Le silence après.
Elle ne répond rien.
Parce que son fils n’a pas de père — pas comme ça.
Et surtout parce que c’est innommable.

En toi, je mets ma foi
Le prêtre regarde l’enfant, qui lui sourit.
Pourtant, dans ses yeux, sur sa peau, il ne voit que la faute.
Il esquisse un signe de croix sur son front, puis dit à sa mère qu’il priera pour elle, et pour son fils.
Mais Sibylle le sait : ces prières-là ne montent pas jusqu’au ciel.
Elle sort.
Son fils rit dans ses bras. Que pourrait-il comprendre, à son âge, de tout cela ?
Alors Sibylle lui sourit, les yeux noyés de larmes.
Poignant la scène dans l’église…le curé est vraiment digne de l’église de 17ème. Bravo pour la chanson!