
#8
Une porte se ferme
#8 - Une porte se ferme
… c’est là que naît l’ombre
Ce qu'il faut taire
Ce matin-là, quelque chose a changé.
Le temps semble plus lourd, l’air est chargé d’une attente invisible.
Sibylle observe Côme, qui s’affaire comme à son habitude… mais chaque geste trahit l’effort.
Sa jambe le fait souffrir. Son souffle est court. Il s’acharne pourtant, avec une fierté farouche, refusant d’admettre l’évidence : il décline.
Il refuse qu’on l’aide. Céder, ce serait se trahir.
Alors il s’emporte, crie qu’il n’a besoin de personne.
Mais sa colère n’est qu’un masque, un dernier rempart contre ce qu’il sent venir.

Tenir, encore… encore un peu.
L’enfant regarde. Silencieux. Immobile.
Côme finit par quitter la maison. Il est temps d’aller travailler, de « gagner sa vie », comme il dit, même si la sienne s’effrite un peu plus chaque jour.
Son pas est plus lourd que jamais.
Sibylle ne dit rien, mais elle sait.
Il ne tiendra pas un hiver de plus.
Il luttera jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement. Pour elle. Pour l’enfant.
Alors elle prend la décision qu’elle redoutait.
Elle s’assied près de son fils, lui parle doucement. Il comprend.
Il faut partir.
Partir avant que Côme ne s’effondre, avant que sa fin ne se perde dans la douleur.

Ne tarde plus
Guillemette, la vieille guérisseuse, veillera sur lui.
Elle a toujours été là, discrète, fidèle, comme une présence en creux.
Sibylle rassemble leurs affaires.
Une couverture, un morceau de pain, quelques fruits.
Elle enveloppe l’enfant dans un châle, serre la besace contre elle.
Il est temps.
Ils marchent vite.
Pour ne pas laisser le doute s’infiltrer.
Pour ne pas céder à ce désir brutal de revenir en arrière.
Derrière eux, une vie s’efface.
Devant eux, une autre reste à inventer.
Et pourtant, à chaque pas, quelque chose monte.
Un appel.
Sourd. Ancien.
La montagne surgit bientôt devant eux, immense, silencieuse, immobile.
Son flanc, encore drapé de brume, semble les reconnaître.
Sibylle sait, sans le comprendre, que quelque chose les attend ici.
Elle s’arrête. Regarde son fils, lui sourit, d’un sourire pâle, presque absent.
Il serre sa main un peu plus fort.
Ils reprennent leur marche.
Il est temps. Un pas encore, et la brume les aspire.